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Entretien entre Frédéric Burri et Lotfi Hadjiat

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Frédéric Burri : « L’âme a deux yeux, un oeil intérieur, et un oeil extérieur. L’oeil intérieur de l’âme regarde vers l’essence et la reçoit directement de Dieu ; c’est l’oeuvre qui lui est propre. L’oeil extérieur de l’âme se tourne au contraire vers toutes les créatures et les perçoit en image », disait Maître Eckhart dans ses Sermons.

Lotfi Hadjiat : Oui, ces deux yeux fondent la dualité dans laquelle on s’enlise.

F. B. : Sauf si on réunit les deux directions en une seule, liant le sujet et l’objet en une seule réalité, mais est-ce seulement possible ?

L. H. : Je pense que c’est possible en considérant que derrière la dialectique sujet/objet, il y a une dialectique plus profonde : la dialectique sujet/souverain. Le sujet ne doit donc pas aspirer à « s’unir » à l’objet mais à devenir souverain, à ne plus être « sujet ». Dès lors que le sujet est aboli alors l’as-sujet-tissement à l’objet est aboli lui aussi, abolissant donc l’assujettissement à cette dualité vers une réalité et une seule : la souveraineté, dont « sujet » et « objet » ne sont que des reflets périssables.

F. B. : Aspirer à devenir souverain, ou la conquête de l’unité perdue, pas vrai ? Est-on souverain lorsqu’on est soumis à la Volonté divine sachant que le sujet demeure malgré tout ?

L. H. : Le sujet ne demeure pas, il se transmue justement en souverain, il déploie toute sa nature souveraine profonde. Le sujet est constitué finalement des plis et des replis de cette souveraineté contenue.

F. B. : Je vois, ça fais pleinement sens si on assimile le sujet à l’ego. Pour ma part, mon expérience de la méditation me fait concevoir le « sujet » comme une conscience consciente d’elle-même, parfaitement équanime, dans la quiétude béate. Serait-ce le « souverain » dont tu parles ?

L. H. : Dans mon point de vue, la béatitude est un sentiment de joie infinie qui n’a plus vraiment conscience d’elle-même. Je crois que la béatitude nous affranchit justement de la conscience. On a d’abord conscience de notre individualité. Dès lors que notre individualité s’estompe dans la béatitude insondable, la conscience s’estompe aussi. Pour moi, la joie précède la conscience de la joie.

F. B. : Pourtant j’en fais l’expérience comme d’un sentiment de joie et de plénitude, qui découle de l’équanimité ou calme parfait de la conscience. C’est « moi » en tant que conscience qui en fais l’expérience. Et cette expérience subjective je peux la reproduire sur commande par un simple effort de conversion de l’attention (en quelques minutes). Ou alors peut-être que ce que je ressens n’est qu’un reflet en moi-même de la béatitude infinie dont tu parles. Car qui dit sentiment dit forcément sensation, donc sujet qui ressent.

L. H. : Non, je ne crois pas que ça soit un reflet, ton expérience est authentique. C’est peut-être moi qui m’égare ! Mais dans ma vision des choses, la conscience est une entrave, un fardeau. Il y a une réalité spirituelle plus dense, plus claire et plus libre que la conscience, une réalité dont on peut faire l’expérience dans les rêves.

F. B. : Cela fait sens qu’il puisse y avoir une réalité au-delà de la conscience, le pur Esprit, je le conçois, d’ailleurs on parle bien de non-dualité et de  »sortie de la caverne ». Mais si je peux le concevoir mentalement, je ne le réalise pas. Et je ne vois pas trop ce que je peux faire de plus à mon niveau. Le sujet peut il vraiment se libérer de lui-même ou faut-il une grâce ?

L. H. : Oui, il faut sans doute une grâce. Tu as probablement raison. Cette béatitude est impersonnelle, on ne peut donc pas y parvenir par une initiative personnelle. En mon for intérieur, j’ai l’intuition de cette béatitude, de cette clarté intérieure, une intuition de plus en plus présente avec les années, mais je ne l’ai jamais vraiment expérimentée pleinement, ce que certains appellent « l’extase mystique ». Peut-être que ça arrive au moment où tu ne l’attends plus, ou tu n’attends plus rien de la vie, en trouvant la joie dans l’existence telle qu’elle se donne dans sa simplicité. En considérant que cette donation est déjà un peu de cette béatitude, et ce peu il faut le laisser croître, sans chercher à le « faire croître ».

 

 

 

 

 

 

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